Le business de la mode peut amener les marques les plus rebelles à changer leur nature pour survivre. Chrome Hearts évolue en dehors de toutes ces contraintes. Fondée en 1988 par Richard Stark et le spécialiste de cuir John Bowman, la marque est toujours l’ovni insaisissable de ses débuts. Chrome Hearts est cependant aujourd’hui porté par les noms les plus exposés de notre culture. Virgil Abloh, Lil Uzi Vert, Kanye West et même la chanteuse Cher s’affichent régulièrement avec cette marque quasiment inaccessible pour le grand public. Derrière cette stratégie assumée, se cachent des valeurs rares qui remettent totalement en question l’ambition des grands groupes sur le marché de la mode. Retour sur la genèse d’une des plus grandes familles de la mode.
Nothing here is made, everything is built
– Richard Stark
De la joaillerie aux films d’horreur à petit budget
Pour Chrome Hearts, tout a commencé dans les années 80 dans un petit garage de Los Angeles. Richard Stark et John Bowman sont deux passionnés de moto et de mode, mais ne trouvent pas de pièces qui pourraient les accompagner pendant leurs longues balades en Harley. À cette époque Richard Stark s’est déjà fait un nom sur le marché de la bijouterie de luxe tandis John Bowman est lui un tanneur réputé de la ville. Tous les deux, ils travailleront sur les premières pièces d’une marque encore sans nom avant d’être rejoints par un certain Leonard Kimura. Le premier véritable de job de la marque a été d’imaginé les costumes du film Chopper Chicks in Zombietown qui devait au départ s’appeler “Chrome Hearts”. Parmi les actrices de ce film d’horreur à (très) petit budget, une jeune fille se trouvait être la petite copine d’un des membres des Sex Pistols. Le groupe a été séduit par les costumes du trio et a commencé à les porter sur scène donnant à Chrome Hearts sa première importante exposition.
Nous n’avons pas de saisons. Je fais les choses quand je veux les faire, parce que je veux les faire
– Richard Stark
Le réel pivot de l’histoire de Chrome Hearts intervient cependant en 1992 lorsque le monde de la mode découvre vraiment le travail de la marque. Trop occupé à penser ses collections, Richard Stark ne daignera même pas répondre au téléphone quand le prestigieux Council of Fashion Designers of America le contacte pour lui remettre le prix d’accessoiristes de l’année. Après une relance d’un journaliste de Vogue, le designer choisira finalement la chanteuse Cher, habillée d’une tenue entièrement faite à la main pour recevoir ce prix à sa place. Un grand moment pour le monde de la mode qui scellera l’aura de Chrome Hearts. En 1994, le trio se sépare, Kimura et Bowman laissent Stark seule pour fonder leur propre marque de bijoux, Lone Ones. Difficile de prouver si Stark avait prévu son coup, mais la même année il rencontre la directrice artistique Laurie Lynn qui venait lui commander un maillot de bain en cuir personnalisé pour son été. Laurie Lynn deviendra une collaboratrice de la marque avant de devenir l’épouse de Richard Stark qui construira avec elle la marque que l’on connaît aujourd’hui. Durant cette période, Richard Stark s’ouvre et commence à faire ses premières interviews dans lesquelles il explique sa vision assez surprenante pour Chrome Hearts.
L’artisanat, le combat de Chrome Hearts
Parce que Chrome Hearts a dès le départ été pensé comme une marque globale, le clan Stark ne se limite à aucune discipline. De la joaillerie, au travail de la pierre en passant par l’ébénisterie Chrome Hearts s’attaquera à l’ensemble de ces domaines sans pour autant renier son mantra d’origine : tout doit être fait à la main. Richard Stark lui, ne considère par Chrome Hearts comme une marque de mode. Dans une interview au Japan Times, Stark expliquait qu’il n’a rien à voir avec le monde de la mode avant d’ajouter “Nous n’avons pas de saisons. Je fais les choses quand je veux les faire, parce que je veux les faire”. Une manière de voir son travail qui résonne aujourd’hui avec un monde de la mode qui doit se réinventer. Cette vision définitivement punk de la mode séduira Rei Kawakubo qui est encore aujourd’hui une passionnée de la marque. Cette affiliation avec la créatrice de Comme des Garçons lui permettra de s’exporter au Japon et d’imaginer une collaboration avec elle en 2007 qui se poursuit encore aujourd’hui.
Au fil des années, les plus grandes icônes de leurs époques travailleront directement avec Chrome Hearts. Les Rolling Stones, Yves Saint Laurent, Gareth Pugh, Bella Hadid ou encore plus récemment Virgil Abloh font partie des noms qui ont collaboré avec Chrome Hearts. Cette jeunesse éternelle de la marque s’explique par le passage de pouvoir qui a été effectué depuis plusieurs années. Ensemble, Richard et Laurie Lynn ont eu 3 enfants qui ont grandi au coeur de la jeunesse dorée de Los Angeles. L’aînée, Jesse Jo, est désormais directrice marketing de la marque et avant tout une star du rock local ce qui lui permet de côtoyer tout le gratin de LA. Cette ouverture sur le monde artistique permet aujourd’hui à la marque de s’afficher régulièrement sur Offset, Travis Scott ou Playboi Carti qui ont popularisé les pièces de Chrome Hearts auprès de leur audience. Ces derniers n’hésitent également pas à citer la marque dans leur chanson avec Lil Uzi Vert qui ira même jusqu’à nommer l’un d’entre eux “Chrome Heart Tag” sur son dernier album. Ces personnalités qui peuvent a priori tout s’acheter ont trouvé en Chrome Hearts une marque difficile d’accès, même pour eux, qui n’a en aucun été imaginé à destination des rappeurs. Quand on l’interroge sur sa relation avec les célébrités qui portent Chrome Hearts, Richard Stark s’exprime honnêtement : “J’aime faire du sur mesure quand j’aime la personne, c’est à peu près comme ça que ça marche”.
Look at my back, Chrome Heart tags
– Lil Uzi Vert dans “Chrome Heart Tag”
L’éternel Chrome Hearts
Dans ce marché où tout va très vite, la marque est restée fidèle à son ambition d’origine. Chaque pièce est toujours produite à la main dans un énorme entrepôt aux coeurs de LA qui rassemble tous les métiers de l’artisanat. Pour réaliser une paire de lunettes Chrome Hearts il faut ainsi parfois près de 3 ans de voyage entre différents ateliers du monde pour que chaque artisan apporte son expertise. Le banc réalisé en collaboration avec Virgil Abloh a quant à lui pris plus de 6 ans à germer dans l’esprit de Richard Stark. Chrome Hearts compte aujourd’hui 18 magasins à travers le monde, dont un à Paris, tous décorés d’une manière différente dans l’esprit de la marque. Aujourd’hui, on voit mal Richard Stark entreprendre un virage à 360° compte tenu de la nouvelle exposition de sa création. Chrome Hearts restera ce label différent, inaccessible pour le commun des mortels incarné par un personnage et une famille définitivement pas comme les autres.