L’histoire de la sneaker est marquée par des étapes clefs qui ont construit le marché dans lequel nous sommes aujourd’hui. Parmi elles, la Nike SB Dunk a révolutionné la manière dont on pouvait créer un lien entre une sneaker et ses consommateurs. Retour avec 4 passionnés de la Nike SB Dunk sur l’influence d’une silhouette restée dans la légende.
Pour la Dunk, tout part d’un constat d’échec cinglant. À la fin des années 90, le skate est en plein essor, mais Nike peine à s’imposer auprès des skaters. Un paradoxe, car certains des plus grands skaters de l’époque s’étaient approprié une Jordan 1 ou une Blazer à la base imaginée pour le basketball. Les premiers design de skate de la marque de l’Oregon n’étaient pas de franches réussites. JB Gillet, skateur professionnel pour Nike SB depuis 4 ans nous explique :
Pour son lancement, Nike SB a voulu sortir des chaussures trop spécifiques et trop techniques.
Un tour sur Nikesb.com permet de découvrir des paires comme la Choad, Shimp ou Trog aujourd’hui confortablement installées dans les archives de la marque. Voyant les Dunk portées par des skaters, de nombreuses petites marques de l’époque les copiant allègrement pour en proposer des versions plus adaptées à leurs besoins.
Les Nike Choad, Trog et Schimp sorties en 1996
En parallèle du skate toute une communauté de collectionneur commençait, sans le savoir, à se construire autour de la Dunk. Pour Ryan Cooper, l’un des plus grands collectionneurs de Dunk au monde, tout a commencé à se structurer très tôt :
Je suis tombé amoureux de la Nike Dunk à partir de la série des College colorway “BTTYS” en 2000
Ces coloris Be True To Your Schools restent encore aujourd’hui les plus appréciés des collectionneurs avec notamment Virgil Abloh qui en porte régulièrement. C’est à ce moment que Nike commence à travailler le caractère exclusif de la Dunk en réservant certaines sorties à des zones régionales bien précises. Nathan Wallace, un autre grand collectionneur, nous explique que c’est au début des années 2000 que des magasins comme JD Sport ou Footlocker ont commencé à sortir des Dunk exclusivement pour l’Europe. Une stratégie de la rareté, inédit pour l’époque, qui constitua la base de toute une génération de collectionneurs de Dunk. Nike était ainsi au coeur d’un important dilemme avec sa Dunk. D’un côté, des skaters qui utilisaient une chaussure non adaptée à leurs besoins, d’un autre, une communauté de collectionneurs qui commence à s’intéresser à la Dunk.
Pour interagir directement avec la communauté des skateurs, Nike décida de débaucher de sa filiale football un certain Sandy Bodecker. Bodecker avait pour mission de développer tout un univers autour de la Dunk comme Nike avait réussi à le faire avec le Football. Conscient de l’importance des icônes dans cette communauté, Bodecker rassembla autour de lui 4 des plus grands skateurs de l’époque : Reese Forbes, Gino Ianucci, Richard Mulder et Danny Supa. Ces 4 skateurs respectés furent mis à contribution pour imaginer une Nike SB Dunk qui pourrait améliorer leur performance. L’équipe mit au point une languette en nylon plus épaisse accompagnée d’un col doublé ainsi que d’une unité ZOOM AIR sous pour satisfaire leurs exigences. La Nike SB Dunk était née, mais il restait à Nike de ne pas reproduire les mêmes erreurs que les années précédentes. L’intelligence de Bodecker à l’époque avait été de choisir des profils très liés au monde underground plutôt que les stars des X Games. JB Gillet nous explique notamment à propos de Gino Ianucci :
Toute la communauté l’admire encore aujourd’hui parce que c’est quelqu’un avec un style incroyable. C’est un peu le Versace du skate.
La Nike SB Dunk est lancée en 2002 avec 4 coloris imaginés par ces 4 grands skateurs.
Les 4 pubs de lancement de la Nike Dunk SB
Tout ne s’est cependant pas passé comme prévu pour la Nike SB Dunk. Selon JB Gillet qui était à l’époque sponsorisé par d’autres marques, l’accueil fut assez mitigé. Dans la communauté, il nous explique qu’il y avait des skaters qui n’aimaient pas l’arrivée de Nike dans le skate. C’est pour cela que Sandy Bodecker décida de s’installer sur le marché par la base en sélectionnant une poignée de skateshop à travers le monde pour distribuer ses Nike SB Dunk. Les paires étaient impossibles à trouver hors de ces magasins, une logique bizarrement perçue pour l’époque où la notion de rareté était encore limitée à quelques paires Friends & Family. Pour Nathan Wallace, c’est justement cette difficulté de mettre la main sur les premières paires qui posa les bases de la culture autour de la Nike Dunk SB.
Le foot et le running étaient majoritaires en Angleterre, mais le fait que la Dunk SB n’était disponible qu’en skateshop, cela la rendait beaucoup plus difficile à cop.
Nous sommes au début des années 2000 et toute la culture autour de la sneaker n’obéit pas aux mêmes règles qu’aujourd’hui. Choisir délibérément de rendre ses chaussures difficilement atteignables pour des consommateurs relevait d’une simple perte de chiffre, mais Sandy Bodecker avait déjà une idée derrière la tête.
Le 4 premiers coloris de la Nike Dunk SB
Après les skaters et les skateshop, les plus grandes marques de skate de l’époque furent mises à contribution pour pousser la Nike Dunk SB. Zoo York, Chocolate et Supreme proposèrent chacun à leur tour leur propre design de la Dunk dès 2002. C’est grâce à ces paires que le monde du skate et les premiers collectionneurs se rencontrèrent. Pour JB Gillet cette rencontre était plutôt une bonne chose, cela faisait tourner les skateshop et c’était bon pour tout le monde avant de rappeler :
À la base la Nike Dunk est une chaussure de basket donc les skaters font aussi partie des communautés qui ont détourné sa fonctionnalité première.
Ces différentes sorties contribuèrent à réconcilier la communauté des skaters avec la franchise Nike SB. La ligne fit par la suite des collaborations une de ses marques de fabrique. Des Dunk comme la Reese Forbes Denim, Jedi ou encore les autres Supreme High contribuèrent à faire monter une frénésie qui explosa au grand jour en 2005 avec le “City Pack”.
Nike SB Dunk Reese Forbes & Medicom by @sneakerboy79
Nike SB Dunk Supreme by @sneakerboy79
À l’horizon 2004-2005, c’est la période où Elie Costa est tombé dans la Dunk. Élie est aujourd’hui considéré comme l’un des plus grands collectionneurs de Dunk en France. Pour lui, le City Pack était une nouvelle étape de la Dunk :
L’évènement pour la sortie de la paire de Bernard Buffet au Palais de Tokyo était impressionnant
Aujourd’hui réguliers, ces évènements autour d’une paire de sneakers étaient exceptionnels pour l’époque. Certains exemplaires de la paire avaient ainsi été distribués aux invités tandis qu’une release classique avait été organisée dans certains magasins. Élie se souvient à l’époque avoir vu la paire de Bernard Buffet rester en magasin plusieurs jours chez Opium. Un comble pour une paire qui se revend aujourd’hui à plusieurs milliers d’euros sur EBAY. La frénésie autour de la Dunk a cependant mis du temps à atteindre l’Europe. Des souvenirs d’Élie, le premier véritable camp pour une Dunk à Paris avait été organisé pour la sortie de la paire en collaboration avec l’artiste Stash en 2003 chez Colette. Une frénésie qui est toutefois restée concentrée autour de quelques paires de Dunk marquantes et qui n’est pas arrivée aux oreilles du grand public. Élie nous a d’ailleurs partagé avoir fait quelques bonnes affaires durant cette période, notamment sur cette même Bernard Buffet qui a triplé son prix en 3 ans.
Aujourd’hui, Nike croit plus que jamais au retour en force de sa Dunk. En portant la paire des personnalités comme WALE, Travis Scott et Virgil Abloh ont contribué à remettre un coup de projecteur sur le modèle. Ce qui a intéressé ces fins connaisseurs de la Dunk, c’est l’ancrage dans la culture d’une paire qui était la première à avoir été réinterprété par des artistes. L’intuition de Sandy Bodecker était la bonne et elle est désormais devenue la norme sur un marché de la sneaker qui doit tout à la Nike Dunk.