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Décryptage de 30 ans de streetwear

 

Partie prenante de la culture sneakers, le streetwear et la fourmilière de marques associées à cette mouvance est aujourd’hui partout, des étagères de vos shops préférés aux runways où vous n’avez pas accès ; si bien qu’aujourd’hui le « streetwear » n’a souvent de « street » que le nom.

Sneakers Addict™ vous propose de revenir sur les origines et les piliers du streetwear, pour comprendre comment ce qui était une contre-culture à l’origine est maintenant devenu un courant mainstream, et un passage obligé pour les créateurs et les labels soucieux de s’associer à la street culture, et par extension à la scène sneakers.

 

 

Les fondations

Avec des origines issues des univers du surf, du skate et du hip-hop, le streetwear représente au final bien plus que des lignes de t-shirts, de hoodies ou de casquettes à logos : c’est un lifestyle à part entière, et chaque pièce est choisie comme un « statement », pour exprimer son individualité, ses connivences, et son sens du style. 

 

Même si parmi les marques qui composent cette scène on retrouve plusieurs nuances et plusieurs positionnements, 4 ingrédients majeurs ont toujours composé cette recette mondialisée qu’est devenu le streetwear : la musique et ses icônes, le sport (on ne compte plus les logos ou les designs inspirés des franchises MLB, NBA…), la drogue, et le sexe.Et évidemment tout cela fonctionne plutôt bien, parce qu’on tient là toutes les composantes d’un lifestyle attractif et addictif.

 

 

Le cas Stüssy

Pour comprendre comment le streetwear est passé des échoppes californiennes et new-yorkaises à une culture de masse, il suffit de prendre l’exemple de Stüssy : comment ne pas parler de Shawn Stussy, qui a imprimé son « International Tribe » sur les torses et les dorsaux à travers le monde.

Dans les années 80, ce fabricant de planches de surf s’est dit qu’en transposant les designs habituellement réservés à ses boards sur des t-shirts, il tenait peut-être une idée.

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Stussy Hiroshi Japan

Rapidement, ses imprimés et ses logos reconnaissables au premier coup d’œil se sont distingués de ce que faisaient les autres marquent connotées surf,  et il a vite compris qu’un logo et une identité visuelle forte permettaient de décliner son concept sur des vêtements qui se voulaient le prolongement du style de vie de ces surfeurs et de ces skaters : attitude, confort, individualisation du style… de quoi bâtir des fondations solides pour la suite.

Si les premiers modèles ont quasiment vendu de la main à la main ou depuis son van, le business a rapidement pris de l’ampleur, et il suffit de penser à l’incontournable design « World Tour » de Stüssy pour se faire une idée de l’empire de distribution et d’influence qui s’est mis en place avec temps

En développant son réseau et sa résonnance au Japon et en Europe, Shawn Stussy a aussi été l’annonciateur de la « mainstreamisation » du streetwear : il ne s’agissait plus de se cantonner au style Californien et à ses codes, mais de penser global, pour répondre à la demande générée par l’effervescence autour de la street culture à travers le monde. Stüssy a également contribué à la création de liens solides entre le streetwear et le monde de la sneakers, en collaborant plusieurs fois avec Nike, pour des modèles généralement très réussis et très prisés.

 

 

Un ADN issu des cultures skate et hip-hop

Les vidéos de skateboard ont aussi eu un impact fort sur la popularisation du streetwear et de son esthétique dans les années 90. 

Un an après sa création par James Jebbia, Supreme lançait sa première vidéo de skate, « A Love Supreme ». On y trouvait des skateurs et des tricks bien sûr, mais surtout toute l’imagerie chère à la marque, avec des plans sur New York et ses rues, et sur le mode de vie de la Grosse Pomme à cette époque. En utilisant le format film, les marques ont pu à la fois mettre en avant le niveau des skaters qu’elles sponsorisaient et rendre fous les aficionados un peu partout dans le monde, et imprimer durablement une esthétique faite de logos et d’imprimés graphiques fédérateurs et bien sentis.

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En mixant skate et bande-son hip-hop – on peut penser à la mythique Zoo York Mixtape en 1997 – on avait là les bases des influences mutuelles que continuent d’exercer ces 2 cultures l’une sur l’autre. 

Quand le Wu Tang collaborait avec Zoo York dans les 90’s, on croise maintenant Asap Rocky ou Virgil Abloh en Palace, ou Jadakiss, Styles P, Curren$y et beaucoup d’autres qui arborent du Diamond Supply Co. (une marque de visserie pour skateboards à l’origine, dont l’élargissement de la gamme peut rappeler la success story connue par Stüssy).

Supreme Three Six 1

Avec le temps, les frontières entre skate et hip-hop ont eu tendance à s’ouvrir en grand, avec l’apparition de marques clairement connotées street (Axion, Alphanumeric il y a quelques années, puis DGK – Dirty Ghetto Kids…), mais aussi plus tard l’émergence d’artistes comme l’équipe Odd Future, qui joue sur les 2 tableaux…et qui a lancé sa ligne de streetwear, voyant venir les signes $ potentiels avec pouvoir d’attraction de leur lifestyle.

Odd Future Skate

Pour reparler de Supreme, qui quoiqu’on en dise reste une marque dont le pouvoir d’influence sur la scène streetwear est énorme, on ne peut que se souvenir de leur collaboration mémorable avec Three Six Mafia, qui inspira plus tard à Juicy J la ligne « Standing on Fairfax getting smoked out with the niggas from Supreme », sur le morceau TAP avec Wiz Khalifa. Ici encore, il est clair que c’est de lifestyle, de plaisir et d’hédonisme dont il est question.

Ce qui ressort, c’est qu’en choisissant certaines marques ou certains labels, il devient possible de rendre visible sa culture, son background, ses aspirations et ses inspirations. 

Les t-shirts et sweatshirts graphiques étant devenus une norme et un gimmick récurrents dans la mode, chaque semaine voit se créer une nouvelle marque qui essaie de tirer son épingle du jeu, et de se faire une place. Évidemment, l’authenticité et la crédibilité revêtent une importance toute particulière à l’heure de séparer les pionniers, les influenceurs, et le flot des soi-disant designers, à la recherche du profit rapide. 

Pour un James Jebbia (dont la vision marketing est forcément unanimement reconnue), un Nigo ou un Keith Hufnagel, combien de créateurs sont tombés dans l’oubli, le plus souvent car ils se sont simplement contentés d’essayer de reproduire des recettes qui fonctionnaient ailleurs ? 

 

 

Le Japon, une place forte incontournable

En parlant de Nigo, impossible de ne pas mentionner A Bathing Ape, qui a achevé de placer le Japon comme une place forte à l’échelle du streetwear mondial.

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En lançant sa marque en 1993, l’ex-protégé d’Hiroshi Fujiwara – dont le label Fragment Design fait aujourd’hui office de valeur sûre – a rapidement été soutenu par la scène street locale, que ce soit des DJ’s, des rappeurs, des producteurs, ou des personnalités de la mode.

Quand au milieu des années 2000 les artistes majeurs de la scène hip-hop US comme Pharell Williams, Lil Wayne ou Young Jeezy ont commencé à porter le logo BAPE® et les imprimés all-over un peu partout, le marché américain s’est emballé et la marque a réalisé des profits record, avant de se propager au reste du monde.

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Si Shawn Stussy a inventé la streetwear de manière quasi artisanale et accidentelle, Nigo a élevé la culture au niveau supérieur, en travaillant le fond, mais aussi la forme, avec des shops au design unique et des concepts jamais vus auparavant. Le fait que le concept store parisien Colette ait fait appel à Wonderwall pour le réagencement du 213 rue Saint-Honoré apparaît comme tout sauf une coïncidence.

 

 

L’exemple Européen

Si les labels japonais se sont vite imposés comme des références, avec des produits et des marques très convoités (« la hype »), les marques Européennes ont-elles aussi su s’imposer comme des alternatives plus que crédibles à la toute-puissance des créateurs américains, mais également comme une nouvelle source d’inspiration.

L’apport de ce twist Européen a encore enrichi la culture, et certains noms comme Patta ou Palace se sont déjà largement répandus, et se sont fait une place confortable au milieu des incontournables du secteur.

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Nourri au streetwear américain – en ce qui concerne la manière d’articuler les collections et les releases – le particularisme de l’Europe s’est mixé avec la culture, avec des références au football, aux styles des barres HLM françaises ou anglaises, ou à l’art de vivre propre au Vieux Continent.

Le rayonnement de villes comme Paris, Amsterdam ou Barcelone a également contribué à renforcer le positionnement de ces marques, en leur donnant légitimité et charisme et il n’est pas rare, aujourd’hui, de voir des « influenceurs » et autres icônes américains représenter ces marques à l’échelle mondiale au même titre que leurs logos locaux.

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Quand en plus la marque joue sans complexe la carte de l’identité locale forte, comme Stéphane Ashpool a su le faire avec Pigalle, ce qui était à la base des t-shirts imprimés pour ses Friends & Family devient un objet de désir pour la communauté streetwear à travers le monde.

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De plus en plus de marques/labels estampillées « luxe » – Européennes pour la plupart – se sont également essayées à la conception de produits qui jouent avec les codes du streetwear, influencés par la typologie « de quartier » fortement décriée jusqu’alors. Chanel s’en est par exemple très bien sorti, avec une mythique paire de Pump Fury, et un drop de maillots de football dri-fit en collaboration avec Nike. 

 

 

Internet, le
« Game Changer »

Ces influences et ces réussites ont donc fait du streetwear une tendance dominante et mainstream, et alors qu’il était auparavant difficile de se procurer certaines pièces, que ce soit pour Supreme ou Bape par exemple, Internet a complètement changé la donne.

Dress-Like-Kanye-West

e-Bay a contribué à la mondialisation du marché et au phénomène des resellers, en permettant à des acheteurs disséminés dans le monde de se procurer produits exclusifs et éditions limitées – quitte à afficher des tarifs qui doublent ou triplent le tarif initial. 

Ce marché parallèle a non seulement aiguisé l’appétit des marques qui mettent tous les moyens en œuvre pour hyper leurs produits, mais aussi celui des acheteurs, pour qui la seule limite devient finalement le prix qu’ils sont prêts à débourser pour une pièce convoitée. 

Dans le même temps, la densification des forums et des sites de news a accompagné cet engouement, en fédérant des communautés de connaisseurs et de consommateurs avertis, en quête d’exclusivité, d’authenticité et de produits introuvables dans les circuits de distribution classiques. 

Dans les années 2000, le streetwear s’est peu à peu structuré et industrialisé,  et des structures plus conséquentes ont investi le marché. A la manière d’Asos dans sa gestion du fast-fashion, on a vu se développer des sites spécialisés dans la streetwear, rendant quasiment n’importe quel produit disponible en quelques clics. 

Alors qu’il fallait souvent se rendre directement dans les shops des marques ou faire appel à son réseau pour se procurer certaines pièces, des sites comme Karmaloop ou Caliroots ont servi de vitrine à l’essor du streetwear, rendant facilement accessibles des marques comme The Hundreds, HUF, 10 Deep, Mishka ou Crooks & Castles. 

Même s’il s’agit davantage d’une réalité américaine, le fait de voir des marques avec un ADN streetwear dans les centres commerciaux – on peut citer les exemples de Zumiez ou Pacsun – est un signe fort qui va dans le sens du mainstream. La France n’est néanmoins pas en reste puisqu’aujourd’hui, de grands groupes tels que Galeries Lafayette via leurs BHV ou PPR via Citadium par exemple, distribuent  ces marques pour capitaliser sur cette nouvelle culture populaire.  Pendant que les marques se frottent les mains et regardent les billets pleuvoir, les fans de la première heure regrettent souvent la trop forte exposition de labels auxquels ils s’identifiaient, qui s’accompagne souvent d’une dilution de l’image et du sentiment d’appartenance à une mouvance, un crew ou un collectif. 

Certains n’hésitent pas à parler de mort du streetwear, tant on est loin de l’esprit subversif, local et do-it-yourself des débuts. 

Internet a donc bouleversé le paysage, mais pas uniquement sur l’aspect distribution et disponibilité des produits, mais aussi sur la manière dont la hype se fait et se défait. 

Il suffit qu’une célébrité ou qu’un influenceur porte un produit pour que les ventes décollent, et que le Web s’enflamme (Kanye, on te voit). 

C’est bien sûr une opportunité pour les marques de gagner en exposition, en notoriété et en reconnaissance, mais là aussi, on est parfois loin de l’esprit originel du streetwear, avec une tendance à l’uniformisation. Il suffit de Googler « dress like Tyler » ou « dress like Asap Rocky » pour tenter de s’approprier une petite partie de la culture, ce qui fait grincer quelques dents (dorées ou non) chez les puristes et les connaisseurs qui suivent des créateurs depuis des années. 

Dress-Like-Asap-Rocky

Chaque marque cherche donc son co-sign, avec les écueils que cela comporte : parfois cette visibilité ne suffit pas à donner envie, et par exemple, combien de rappeurs ont tenté une percée dans le textile, sans forcément être couronnés de succès ?

Les réseaux sociaux, Instagram et Twitter en tête, ont aussi donné la possibilité aux marques de communiquer en continu auprès de leur fanbase, en renforçant l’addiction et le sentiment d’appartenance. Quoi de mieux également pour illustrer un lifestyle que de pouvoir le documenter en photos, en vidéos, en lookbooks ? 

Le marketing devient roi, et même si ces plateformes permettent de communiquer en masse efficacement et gratuitement, on s’éloigne aussi du fait de porter le t-shirt d’une marque ou d’un shop avec l’envie de représenter sa ville, ou tout simplement un staff avec lequel on a des affinités et des gouts en commun. 

L’exposition globale de ces marques et boutiques, notamment grâce à l’Internet, n’a pas que des mauvais côtés, loin de là : demandez à Edson ou Gee de chez Patta s’ils préféraient la petite boutique qu’ils partageaient avec Ben G, dans une quasi-intimité (pause) ou leur nouvelle boutique qui va de pair avec leur statut de leader européen. Demandez à Morgan et Pol de 24 Kilates s’ils préféraient mettre des semaines à vendre 60 paires ou s’ils sont satisfaits de pouvoir ouvrir une nouvelle boutique à Bangkok, forts du succès de leurs collaborations qui s’écoulent désormais en 2 heures. Demandez à Joel Fuller ce qu’il pense de la possibilité d’écouler des milliers de casquettes estampillées 40ozVan, de façon indépendante, grâce à Tumblr, ou comment passer du NSFW crapuleux à un business bien juteux.

 

 

 

Le streetwear, parti pour rester, conçu pour durer 

Au final, cette plongée dans l’univers du streetwear montre à quel point l’équilibre entre créativité, ingéniosité, et vision marketing est important.  Même si une partie du public suivra les courants sans trop réfléchir à l’histoire ou aux concepts, mais simplement parce la hype leur ordonne de le faire, on trouve aussi des fans loyaux, qui choisissent les marques pour ce qu’elles représentent en termes d’attitude et de style de vie. 

C’est surement cela qui représente le vrai sens du streetwear, cette culture qui ne pourra jamais être imitée ou dupliquée à la chaîne par les industriels qui aimeraient aussi leur part du gâteau, et qui tentent de reprendre ces codes à leur compte.  C’est aussi cette culture et les possibilités sans fin qu’elle offre qui permettent de dire que tant qu’il y aura de bonnes idées, de bons t-shirts unis 180g, de bonnes presses à textile (et des bons comptes Instagram), le streetwear continuera de vivre et d’être représentatif.

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