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La plus grande friperie d’Europe est à Rouen. Dans ses 24.000 m² d’entrepôt, Eureka Fripe stock plus de 4000 tonnes de vêtements. Créée il y a 47 ans par Bernard, l’entreprise envoie des vêtements dans le monde entier. Eureka c’est aussi des magasins bien connus des amateurs de fripes. Kiloshop, Killiwatch et Hippy Market sont tous opérés par cette entreprise de l’ombre qui pèse pourtant très lourd sur le marché du vintage.

Dans un long entretien, Johanna Graf et Eric Rey nous expliquent comment fonctionne ce marché assez particulier qui n’a plus que jamais été autant d’actualité.

Comment a commencé Eureka ?

Eric Rey : Eureka Fripe est une entreprise familiale créée il y a 47 ans par Bernard Graf. On est ici au siège du groupe, dans un entrepôt de 24.000 m² près de Rouen où sont entreposés près de 4 000 tonnes de stock de vêtements ce qui représente entre 10 et 12 millions de pièces. Tout arrive en « balles » ou en « pouches » par camion, à hauteur d’environ 50 tonnes par semaine.

On est ici au cœur d’une énorme salle remplie de ces balles, où est-ce que vous trouvez tous ces vêtements ?

E: Notre rôle est de récupérer dans le monde entier des articles qui ont déjà été portés. Il y a différents circuits qui existent pour donner une seconde vie à un vêtement. En France par exemple, la solution la plus connue est celle des bennes de récupération de vêtements mise en place par des associations. Ces associations sont vouées à aider les personnes dans le besoin. Elles ont besoin de liquidité pour fonctionner, et pas de tonnes de vêtements. De plus, il est difficile pour ces dernières de pouvoir trier et de se dire que tel jeans pourrait se vendre à telle personne, ce n’est pas leur travail.

Il leur est donc plus évident de revendre ces vêtements en gros pour récupérer de l’argent qui sera ensuite réinvestie auprès de personne dans le besoin. Les vêtements déposés dans les bennes de récupération sont ainsi dans un premier temps vendus à des usines spécialisées de trie, puis Eureka Fripe effectue ses achats auprès de ces usines à travers le monde.

Ces usines doivent récupérer des quantités énormes de vêtements, qu’est-ce qu’elles en font ?

E: Le rôle de ces usines est de trier une première fois les pièces en fonction de leur future utilisation et dans un second temps de revendre cette marchandise. Il faut savoir que :

    • 10 % de la marchandise sera recyclé pour faire de la moquette ou des matériaux isolants.

    • 30 % va être utilisé pour du down-cycling ; des chiffons, torchons …

    • 60 % va être réutilisé sous la même forme ; triée dans des entrepôts puis revendu a des entreprises. Eureka Fripe se concentre sur la production vintage de ces entreprises soit environ 0.5 % de la production.

Une fois que vous êtes dans cette usine, qu’est-ce que vous y cherchez ?

E: On y cherche avant tout des produits vintage de qualité. On peut passer dans des usines et trouver un produit de bonne qualité, mais constater qu’il n’est pas du tout à la mode. Comme personne n’en veut à ce moment-là, les prix sont attractifs. On est amené à acheter de la marchandise qu’on va stocker, car nous savons que la mode est un éternel recommencement.

Il y a forcément des choses qui vous restent sur le dos, est-ce qu’il y a un stock qui dort dans votre entrepôt depuis 20/30 ans ?

Johanna Graf : Oui effectivement. Nous avons des ballots ici qui ont mon âge. Ce n’est pas un stock mort, ce sont des pépites. La mode étant un éternellement recommencement ces pièces ont une valeur sans precedent. Si ce n’était pas à la mode hier, ça l’est aujourd’hui. La force dans le vintage c’est de pouvoir stocker.

E: Cependant, on va quand même avoir un gros souci avec les fourrures véritables. En plus des considérations écologiques, il est question du bien-être animal. Bien que les vêtements soient anciens, ce n’est plus dans la mentalité.

« La fripe c'est la porte d'entrée vers le monde de la mode »

Eric Rey

Au contraire, est-ce qu’il y a une pièce avec laquelle vous avez vraiment tout cassé récemment ?

E: Oui, on peut parler du Jeans Levis 501. Il y a 10 ans, le 501 était complètement has-been. On a senti le vent, et stocker des quantités considérable, on savait que la mode reviendrait; quand ? Il était impossible de vous le dire.  A l’époque il y en avait partout, mais personne n’en voulait. On a dû en acheter 50 tonnes à peu près aux quatre coins du monde. Évidemment ce n’est pas très écologique d’aller chercher de la marchandise à l’autre bout de la planète, mais il faut savoir que pour produire un jeans il faut 8000 litres d’eau. Chez Eureka, on préfère réutiliser les articles déjà existants et leur donner une seconde vie. L’empreinte écologique reste minime par rapport a une production neuve.

Beaucoup de monde va en friperie par considération écologique, mais est-ce seulement pour ça ?

E: À la base, les gens achetaient de la fripe pour des raisons financières. Puis des « personnes mode » ont commencé à s’habiller en fripe pour se démarquer. Ils se sont aperçus que la qualité, les matières et les méthodes de fabrication des vêtements étaient meilleures. Aujourd’hui, on achète toujours de la fripe pour un prix, mais on a constaté une accélération de la demande. Les gens ont pris conscience de cet aspect écologique en consommant mieux et moins.

En parallèle de ça, on s’est aperçu que les jeunes de 14-15 ans (Génération Z) commencent à s’émanciper grâce à leur façon de s’habiller. Ils achètent de la fripe parce qu’avec des budgets limités, ils peuvent s’offrir des pièces originales et uniques. La fripe c’est la porte d’entrée vers le monde de la mode.

"Les marques sont conscientes qu’elles doivent se mettre à la seconde main. Elles ne savent pas encore comment faire donc elles cherchent des solutions"

Johanna Graf

Revenons à vos 501, une fois que vous les avez achetés dans usine, qu’est-ce que vous en faites ?

E: Une fois achetés, on les rapatrie dans notre entrepôt près de Rouen et on les tris. Chez Eureka, un peu plus d’une quinzaine de trieurs travaillent pour répartir les vêtements selon des thèmes, leurs couleurs, leurs formes, etc. Une fois triés, ces vêtements sont conditionnés sous forme de « pouches » qui seront proposées à la vente à nos clients. Sur chaque pouche, il sera indiqué la catégorie de l‘article, par exemple : « tee-shirt logo », « vestes militaires » ou bien encore « varsity jacket ».

Les ventes à vos clients découlent de vos achats, comment décidez-vous des nouvelles catégories d’articles ?

J: Nous pouvons avoir des demandes clients qui souvent suivent les tendances. Nous analysons les magazines, nous informons des tendances a venir… Lorsque l’on voit des choses qui émergent, de nouveaux triages sont proposés à nos clients selon les modes et surtout leur affinité vis a vis des produits. En ce moment on nous demande des jeans tailles basses par exemple, dans un esprit année 2000. C’est la tendance qui ressort. Tout le monde n’est pas encore prêt à sauter le pas.

Les ventes à vos clients découlent de vos achats, comment décidez-vous des nouvelles catégories d’articles ?

J: Nous pouvons avoir des demandes clients qui souvent suivent les tendances. Nous analysons les magazines, nous informons des tendances a venir… Lorsque l’on voit des choses qui émergent, de nouveaux triages sont proposés à nos clients selon les modes et surtout leur affinité vis a vis des produits. En ce moment on nous demande des jeans tailles basses par exemple, dans un esprit année 2000. C’est la tendance qui ressort. Tout le monde n’est pas encore prêt à sauter le pas.

Le triage est vraiment le nerf de la guerre pour vous, comment vous formez vos trieurs ?

J: On va orienter nos trieurs en fonction de leurs affinités sur différents postes et on leur apprend à reconnaître les différentes pièces en fonction des details , des matières . Ce sont plutôt des personnes qui ont un œil pointu pour les détails, mais il ne faut éviter pas que ça soit des personnes trop passionnées par la mode. Le problème lorsque l’on aime vraiment la mode c’est que l’on est souvent bien arrêté dans ses goûts et il faut que nos trieurs soient ouverts sur tous les styles.

"On ne travaille pas la marque, on travaille la mode"

Johanna Graf

Une fois que vos vêtements sont reçus quelle est la prochaine étape ?

E:  nous avons deux métiers différents :

    • Nous sommes grossiste : le monde entier vient s’approvisionner chez nous. Des stylistes peuvent venir chez nous pour créer leur propre collection en s’inspirant des anciennes collections. Des marques comme Vêtements, Balenciaga, Marine Serre.. viennent même directement s’approvisionner pour créer de nouveaux vêtements. Il y a aussi des gens du cinéma qui viennent. Tous les vêtements du film Mesrine ont par exemple été achetés ici. Nous vendons an catégorie précises les produits ce qui rend l’achat simple.
    • Nous avons aussi nos propres magasins : nous prenons les memes lots vendus a nos clients que nous trions en fonction de nos boutiques:  Kilo Shop, Hippy Market et Kiliwatch .. dans lesquels nous revendons directement nos vêtements à la pièce

On voit aujourd’hui des marques mettre en vente leurs propres pièces vintage. Est-ce qu’elles vous contactent et essayent de retrouver leur stock ?

J: Oui nous avons eu pas mal de contact avec des grosses entreprises qui voulaient racheter tout ce qui était de leur propre marque. C’est tout à fait logique que ces marques veuillent racheter ces pièces, elles veulent notamment redorer leur image. De plus avec le temps ces anciens produits sont souvent recherchés.  C’est cependant très compliqué pour nous de le faire parce qu’on ne trie pas par marque. On ne travaille pas la marque, mais on travaille la mode. Les marques sont conscientes qu’elles doivent se mettre à la seconde main aujourd’hui. Elles ne savent pas encore comment faire, elles cherchent donc des solutions.

Quand vous recevez vos vêtements, est-ce que vous avez vu leur qualité globale évoluer depuis 20/30 ans ?

E: Ce que l’on stock ici a en moyenne 30 ou 40 ans donc on a plus ou moins la même qualité. Nous ne stockons que ce que l’on veut vraiment. Un produit H&M, Zara ou Primark qui est passé cinq ou six fois à la machine à laver va directement à la poubelle. Il ne se retrouve pas chez nous. La majorité des produits arrivés chez nous sont des produits avec des méthodes de fabrication leur permettant de durer dans le temps.

Vous travaillez avec beaucoup de petits magasins à travers la France, comment les conseillez-vous dans leur sélection ?

J: Nous travaillons avec beaucoup de personnes qui veulent se lancer, mais qui ne savent pas vraiment par où commencer. Nous pouvons créer toute l’offre d’un magasin. De plus, durant la crise sanitaire, beaucoup de magasins spécialisés dans la vente de vêtements neufs n’ont pas pu recevoir leurs marchandises alors, certains d’entre eux se sont tournés vers le vintage, car nous, nous avons toujours du stock.

En tant que passionné de sneakers, on espère toujours rentrer dans une friperie et trouver une paire vintage. Ça n’arrive cependant que très rarement. Pourquoi n’y a-t-il pas de chaussure dans vos friperies ?

J: Nous avons des sneakers en friperie. Ce n’est pas un produit qui dure bien dans le temps ou qui est forcement intéressant. Il faut être pointilleux a l’achat, la qualité compte beaucoup sur les chaussures. Mais nous en avons, après comme pour tout,  un vrai passionné recherchera la paire « collection » et alors là oui la quête peut commencer …