Quand on rencontre Glen E. Friedman, on a en face de nous une légende de la photographie. Le photographe est de passage à Paris pour présenter son nouveau documentaire au PSSFF. Avec “A Look Back : DogTown & Z-Boys”, il célèbre les 20 ans du film en revenant sur la création du skate et les racines de VANS.
Public Enemy, Run DMC, les Beastie Boys ou encore LL Cool J sont passé devant son objectif. Sa carrière s’est pourtant construite dans les piscines vides de Los Angeles. Il a capturé l’avènement de toute une culture skate dont il parle toujours avec passion aujourd’hui. Ses amis sont Tony Alva, Mark Gonzalez ou Jay Adams, des personnes avec qui il a grandi et vécu énormément d’aventures.
Fin connaisseur du monde des streetwear et New-Yorkais dans l’âme, il se réjouit que notre intervieweur porte un sweatshirt Champion x Yankees. Il remarque cependant très rapidement un box logo rouge qui dépasse de son t-shirt marqué d’un “Supreme”. Son expression se fige et Glen nous invective :
“Supreme, c’est fake, ce n’est que du bullshit. Même les pros skateurs portent cette merde, mais ils ignorent tout ce qu’il y a derrière. Ils veulent faire partie de cette chose et de tout cet univers qui n’est que du bullshit.”
Surpris, nous lui demandons pourquoi il a tant de rancoeurs envers Supreme :
“Cette marque n’a jamais été authentique. Ce ne sont pas des skaters, ils ont juste volé cette culture et ils l’ont exploité comme des capitalistes. Rien que de demander à des gens de faire la queue pour acheter des choses hors de prix, je trouve ça dégoûtant. Je veux que tout le monde sache ce qui est important et ce qui ne l’est pas.”
Nous n’avions pas vraiment prévu de commencer l’interview de cette manière, mais le photographe a tenu à nous parler d’une marque qu’il déteste profondément.
Pour retracer sa carrière, nous avons décidé de lui parler à travers ses photos les plus marquantes. Nous en avons sélectionné quelques unes qu’il nous a décrit. Bien que certaines d’entre elles aient été prises dans les années 70, les souvenirs du photographe sont précis et nous permettent de faire un bon dans le passé.
Retour sur l’avènement du skate, du punk et du Hip Hop avec Glen E. Friedman.
Glen E. Friedman : Sur cette photo c’est Paul Constantineau qui est dans le film Dogtown & Z Boys en 1976. J’ai pris cette photo à 14 ans sur l’un de mes tout premiers films couleur sur une caméra volée. Probablement une 35mm sur un film Kodak Chrome. Durant cette journée, Paul était filmé pour un film de surf qui s’appelait Super Session. Ils ont construit ce tube pour recréer l’imagerie du surf parce que le skateboard n’était que le petit frère de cette discipline à l’époque.
Glen E. Friedman : Cette photo a été prise en 1979 en Floride. C’est Kent Senatore que l’on voit dessus qui avait lui-même construit cette rampe dans une ancienne pompe hydraulique. C’était la première fois que quelqu’un construisait un bowl de la sorte. J’étais allongé par terre pour prendre la photo, c’était un moment assez unique.
Glen E. Friedman : Sur cette image, c’est Jay Adams en train de fumer un joint dans une piscine à Los Angeles en 1976. Les propriétaires n’étaient pas chez eux donc on entrait pour aller skater leur piscine. C’était une grosse session d’ailleurs celle-ci. La police intervenait parfois et nous arrêtait, mais vu qu’on était mineur on n’allait jamais vraiment en prison. C’était comme une opération militaire pour nous. Il y avait des gens qui repéraient les lieux, d’autres qui guettaient … On n’avait pratiquement jamais la permission de faire ça.
Au début des années 80, je suis passé du milieu du skateboard à celui du Punk rock, car l’esprit était le même. L’attitude entre ces deux univers était pareille et les skateurs écoutaient énormément de Punk Rock à l’époque.
Glen E. Friedman : Ce sont les Suicidal Tendencies capturés en 1983 à Venice Beach. J’ai produit cet album donc mon boulot était aussi de créer tous les artwork. À cette époque, les groupes de Punk Rock ne voulaient pas apparaître sur les covers de leur album. En tant que photographe, je voulais absolument qu’ils apparaissent dessus. J’ai eu cette idée de les pendre par les pieds sur une plage devant le coucher de soleil. C’était assez douloureux pour eux d’être pendu comme ça, mais la photo est cool au final.
Nous avons choisi cette image pour sa similarité avec la cover de Die Lit de Playboi Carti, est-ce que vous êtes heureux que votre travail inspire toujours aujourd’hui des artistes majeurs ?
Glen E. Friedman : Je crois que mon fils écoute Playboi Carti et je suis très fier que mon travail inspire toujours d’autres artistes. Je ne suis pas un documentaliste, je me vois plus comme un artiste qui utilise la photographie pour inspirer d’autres personnes à faire ce qui leur plaît. J’ai envie que les gens soient ouverts d’esprits, et la base de la culture skate tourne autour de cette ouverture d’esprit. Cette photo a été prise au CBGBS en 1982. Cette photo est intéressante parce qu’on ressent toute l’énergie de la foule en arrière-plan. Personne ne savait que ce mec allait faire un salto sur scène, il ne le faisait pas souvent.
Au fil du temps, le mouvement Punk Rock était moins intéressant. Je me suis tourné vers le hip-hop parce que j’y retrouvais la même attitude que dans les débuts du mouvement. À l’époque je trouvais que les rappeurs étaient mal photographiés donc je voulais mettre en image ces cultures et lui rendre honneur.
Glen E. Friedman : Ce sont Run DMC et les Beastie Boys sur le toit de DEF JAM à New York en 1988. À ce moment, Run DMC était déjà très connu et les Beasties Boys commençaient à l’être aussi. Ils sont partis en tournée ensemble et ils m’ont demandé de shooter cette image pour leur merchandising. Ils commençaient cependant tous à devenir un peu trop célèbres et les ego commençaient à grossir. C’était peut-être la dernière fois que je les prenais en photo tous ensemble.
Glen E. Friedman : Cette image est un bon exemple du lien entre le rap et le skate. On ne cherchait pas à avoir des permissions ou des plans. On allait juste sur place et on prenait nos photos. Nous avons décidé d’aller à la prison pour créer cette image dans laquelle on croit qu’ils s’en évadent. En réalité, on est sur le parking de la prions. On peut voir dessus DJ Pooh qui saute du mur. Il s’est fait très mal à ce moment et tous les managers étaient très énervés contre moi. Quand on est arrivé sur place en Lowrider on a finalement pris une image sur l’autoroute qui est devenue la couverture de leur album.
Glen E. Friedman : Ce sont les Pussy Riots. Ces femmes m’inspirent aujourd’hui c’est pourquoi je les ai capturés et j’ai voulu transmettre cette inspiration. C’était peut-être leur première action aux États-Unis à ce moment-là. Ces femmes combattent l’oppression en Russie et si elles se font attraper elles se retrouvent au Gulag. Elles n’ont que 21 ans. J’ai pris cette photo de bas, elles sont fortes, j’aime capturer les femmes de cette manière. Je n’ai pas shooté énormément de femmes dans ma carrière dans les milieux dans lesquelles j’évoluais.
Glen E. Friedman : Cette photo de moi a été prise en 1976, c’était 1 mois après que j’ai pris ma première photographie. Je m’étais cassé le bras et c’est pour ça que j’ai commencé à prendre plus de photos et moins skater. Je suis en train de porter mes VANS parce qu’elles n’étaient vraiment pas chères. Elles coûtaient 6$ à l’époque et leurs semelles agrippaient bien. On pouvait même les commander en custom dans la matière qu’on voulait pour 7$.
Qu’est-ce que vous donneriez comme conseil aujourd’hui à ce jeune photographe de 14 ans ?
Glen E. Friedman : Je pense que c’est très important que les jeunes photographes shoot ce qui les inspire et ce qu’ils aiment. Ils doivent montrer ce qu’ils aiment à travers leurs images. Si tu fais partie d’une culture, tu peux montrer au monde entier ce qui la compose. N’essaye pas de faire quelque chose qui ne t’intéresse pas juste pour l’argent. Fais-le pour ton art en premier et toutes les bonnes choses arriveront après.
Le nouveau documentaire de Glen E. Friedman qui retrace l’évènement de la culture skate est disponible sur la chaîne YouTube de Thrasher.