On reconnait plein de qualités à nos voisins allemand, on envie parfois même l’apparente sérenité que dégage le pays mais on ne connait au final que très peu son paysage musical. L’allemagne est le premier marché européen pour le rap mais il reste paradoxalement prisonnier de son territoire. La barrière de la langue y est évidemment pour quelque chose mais ne justifie pas tout. Nous avons rencontré Kelvyn Colt, l’un des rappeurs les plus prometteur de sa génération outre-rhin, pour mettre des mots sur ce paradoxe et parler de son travail.
Où est-ce que tu as grandi ?
Je suis né en Allemagne et j’ai décidé de m’installer à Londres vers mes 19 ans. Maintenant je passe énormément de temps entre Berlin, Londres et Paris. L’ambiance est vraiment différente ici, pendant la fashion week c’est unique. Je ne vais pas vraiment dans les défilés, mais j’aime les gens que je peux rencontrer pendant cet évènement.
Pourquoi as-tu décidé de t’installer à Londres loin de ta famille si jeune ?
J’avais l’impression qu’en Allemagne on ne me prenait pas vraiment au sérieux. J’entendais souvent «C’est encore un rappeur allemand qui rap en anglais ». Pour être respecté par le public allemand, je devais être respecté dans un pays qui parle anglais. Ce n’est que lorsque j’ai commencé à avoir un peu de succès à Londres que les allemands ont vraiment commencé à me considérer comme l’un des leurs.
Où est-ce que tu as choisi de vivre maintenant ?
Je n’ai pas eu d’appartement depuis 2 ans. C’était dans l’est de Londres. Aujourd’hui, je vis vraiment dans ma valise. J’essaye de rendre visite à mes parents régulièrement et c’est chez eux que l’ensemble de mes affaires est entreposé. Cette vie de voyage a commencé quand je faisais des aller-retour entre Berlin et Londres. J’ai construit mon identité entre ces deux villes simultanément. Petit à petit, Paris s’est aussi imposé comme un point d’ancrage important pour moi. J’enregistre beaucoup de morceaux ici.
Si j’ai un conseil à donner aux rappeur français, c’est d’essayer d’investir le marché allemand – Kelvyn Colt
La scène rap allemande est très mal connue en France, comment pourrais-tu nous la décrire ?
En Allemagne il y a quelques artistes que je définirais comme vraiment innovants et qui sont capables de s’approprier le son des américains. Je pourrai citer OG Keemo qui est techniquement une référence, RIN propose quant à lui des sonorités vraiment modernes à la Travis Scott et il y a UFO qui fait de la trap. Tous ces rappeurs rap en allemand et dès que je les montre en dehors de l’Allemagne les gens adhèrent tout de suite.
Il y a cependant un gros manque d’originalité, car une bonne partie des rappeurs se copient entre eux. L’Allemagne est le deuxième plus important marché pour la musique hip-hop dans le monde et le troisième pour la musique en général. Il y a donc beaucoup de potentiel, mais à cause de ce manque d’originalité, le rap allemand ne s’exporte pas très bien.
Qu’est ce que tu écoutes en rap français ?
En ce moment, j’écoute beaucoup Siboy avec son morceau Telephone. Niska, Damso, Booba, Kaaris évidemment et aussi Bosh que j’aime beaucoup. Le rap français est très présent en Allemagne, mais à cause de ce manque d’originalité du rap allemand les deux scènes n’ont jamais vraiment travaillé ensemble. Je pense que la concurrence est tellement forte en France que les rappeurs sont trop occupés à se battre entre eux pour vraiment vouloir s’installer sur le marché allemand. Si j’ai un conseil à donner aux rappeurs français, c’est d’essayer d’investir le marché allemand. Maitre Gims a tenté le coup et maintenant il remplit des stades chez nous.
Dans Love&Hate, tu parles ouvertement de tes périodes de dépression, comment tu les gères aujourd’hui ?
C’est quelque chose que j’ai appris à contrôler avec le temps. J’ai appris à relativiser et apprécier ce que j’avais dans le moment présent. Être dans une période de dépression ce n’est pas une raison pour devenir une mauvaise personne. J’ai dû beaucoup travailler pour comprendre ce qui était bon ou mauvais pour moi. Quand j’étais au coeur d’une période de dépression, j’écoutais et composais énormément de musique. Je me forçais aussi à sortir de chez moi même si c’était pour marcher 5 minutes.
Parfois j’ai l’impression que toutes les filles de 21 ans sont sur un Yacht aux Maldives mais je me demande où se cache le vieil homme qui a payé pour ce bateau – Kelvyn Colt
Comment tu vis la pression des chiffres de ventes, de streaming et des réseaux sociaux ?
On a accès a énormément d’informations qu’on n’a pas besoin de comprendre dès notre plus jeune âge. Aujourd’hui, quand tu ouvres ton portable, tu scroll sur Instagram et tu vois tous ces jeunes avec un corps parfait, un sourire magnifique et de l’argent à leur disposition. Parfois j’ai l’impression que toutes les filles de 21 ans sont sur un Yacht aux Maldives mais je me demande où se cache le vieil homme qui a payé pour ce bateau.
Le visuel est très important pour toi, comment travailles-tu pour réaliser tes clips ?
Je réalise l’ensemble de mes clips avec l’équipe avec laquelle j’ai commencé dans un garage. Je travaille toujours avec les collectifs BYS et TBSJ. J’essaye de conserver un réseau de partenaires fidèles sur qui je sais que je peux compter. C’est important pour moi de toujours travailler avec les mêmes personnes, ça permet de construire une structure pérenne. On ne change pas une équipe qui gagne.
Tu as aussi ta propre collection de vêtements, comment tu l’imagines ?
Mes sweatshirts sont produits par la même usine qui confectionne les pièces Acne et 032C. J’ai envie de construire une vraie marque pour ma communauté. D’ailleurs je n’aime pas vraiment l’expression « fan » pour parler de mon public. Ça crée une forme de distance, mais on vient du même endroit. Tout ce que je propose à ma communauté je veux qu’il ait une réelle valeur pour eux. Quand tu achètes ce sweatshirt, je veux être sûr que cette pièce soit meilleure que l’ensemble de tes autres sweatshirts.
Qu’est ce qu’on peut attendre de toi en 2019 ?
Beaucoup de nouvelles créations tant bien au niveau de la musique, des vidéos et des produits. J’ai aussi envie d’imaginer une expérience complète pour ma communauté et de connecter plus de gens entre eux. Ma musique à un côté commercial, mais elle rassemble aussi des personnes ayant une certaine exigence culturelle. J’ai envie de maximiser cet impact positif que peut avoir ma musique pour les personnes qui l’écoutent.